Actualités du laboratoire | 2022-2024

APPEL A COMMUNICATIONS

APPEL A COMMUNICATIONS

Le temps de la justice aux époques moderne et contemporaine (Europe, Amériques)

Colloque 24 et 25 octobre 2023, Lyon

Appel à communications

Le temps de la justice aux époques moderne et contemporaine (Europe, Amériques)
The time of justice in the early and late modern period (Europe, Amériques)

Colloque 24 et 25 octobre 2023, Lyon

 

Date limite de l'envoi des propositions : 28 février 2023

Argumentaire

Les travaux sociologiques récents sur la justice soulignent combien le temps est devenu un enjeu central du fonctionnement et de la légitimité de l’institution judiciaire [Bastard et al., 2016; Provost, 2022; Reveillere et al., 2022; Viennot, 2007]. Cette évolution résulterait d’abord d’une accélération propre aux sociétés contemporaines [Giddens, 1990] que l’institution judiciaire essaierait de rattraper, et donc d’une nécessité de raccourcir la distance entre le temps judiciaire et les temps sociaux. Aussi la difficile articulation des deux est-elle un enjeu central de la crise actuelle de l’institution en France. Dans une émission du Temps du débat consacrée à la mobilisation des magistrats le 8 décembre 2021 sur France Culture, la sociologue Cécile Vigour remarque : “La frustration la plus grande [pour les justiciables], c’est le contraste entre le temps d’attente avant l’audience et la brièveté des temps d’échange avec le juge.” Face au sentiment de lenteur des justiciables, c’est au contraire l’urgence permanente qui est ressentie par les acteurs de la justice, du fait d’un manque de moyens et de personnel judiciaire [Vigour et al., 2022]. Car si cette accélération découle d’une demande des justiciables, elle peut aussi être le corollaire d’un désengagement de l’État et de l’application à la justice des théories du New Public Management [Bastard, Mouhanna, 2007].

Le temps de la justice comme activité sociale a été peu étudié en lui-même par les historien.ne.s. En effet, les archives judiciaires ont plutôt été utilisées pour saisir les rythmes des sociétés anciennes et les temporalités des pratiques sociales (comme le travail [Voth, 2000]), rarement pour comprendre les rapports de la justice au temps. Le regain d’intérêt pour les procédures, la connaissance plus fine des acteurs (notamment les auxiliaires de justice [Dolan, 2005]) et des différents types et niveaux de justice (seigneuriales, commerciales, civiles) ont toutefois permis d’aborder la question et de nuancer certains poncifs, comme la lenteur proverbiale de la justice d’Ancien Régime [Piant, 2006].

Le colloque vise à mettre en perspective l’accélération contemporaine de la justice en observant sur plusieurs siècles les rapports de la justice au temps. Avec l’affirmation de la justice étatique à l’époque moderne, l’abréviation des procédures et des jugements devient un leitmotiv des réformes judiciaires. Si l’institution impose sa temporalité dans le règlement des conflits, elle est aussi perméable aux pressions extérieures et attentive aux besoins des justiciables. Le temps judiciaire est ainsi au cœur du dialogue entre l’institution, la société et l’Etat.

Il s’agit de comprendre comment la justice construit ses temporalités dans différentes époques et contextes. Au-delà des symboles et des rituels qui donnent majesté et autorité aux jugements [Garapon, 1997], la dimension pratique du temps judiciaire s’observe dans toutes les opérations quotidiennement réalisées dans les tribunaux : ouvrir, instruire, ajourner, réassigner et clore des dossiers [Michel, Willemez, 2008]. La temporalité de ces actions est réglée par le droit et la procédure, qui imposent un ordre, des délais et des durées variables selon le type d’affaire ou la qualité des parties [Cerutti, 2020]. Ces durées forment un cadre de travail pour l’institution mais constituent aussi des garanties légales données aux justiciables quant au respect de leurs droits. Loin d’être figées, les règles procédurales sont mises en pratique et utilisées par les acteurs (juges, auxiliaires, justiciables), qui n’ont pas les mêmes intérêts et disposent de différentes marges de manœuvre. Pour les tribunaux, la maîtrise du temps est primordiale car ils doivent répondre à des demandes, souvent nombreuses, tout en tenant compte de leurs contraintes d’organisation et de leurs moyens, souvent limités. Ainsi, la professionnalisation ou la délégation de certains actes à des acteurs extérieurs (arbitres, experts) sont autant de manières de faire face à un contentieux massif dans les délais prévus par la loi [Bastard, Mouhanna, 2007; Lemercier, 2012]. Cette construction des temporalités judiciaires s’articule enfin aux dimensions spatiales de l’exercice de la justice (territoire, étendue du ressort, environnement professionnel).

Le temps judiciaire prend également sens lorsqu’il est mis en relation avec les temps sociaux. Comment la justice parvient-elle à s’accorder avec ceux-ci ? La dimension sensible, vécue du temps de la justice doit être réinscrite dans des contextes culturels évolutifs. L’organisation du temps judiciaire tout comme sa perception ne sont pas les mêmes en fonction du contexte social, spatial et temporel, de même qu'en situation coloniale. Les différences en termes de culture juridique entraînent aussi des rapports différents au temps, comme la nécessité d’être jugé dans un délai raisonnable, principe fondamental dans les pays de common law. Associer des espaces ayant des cultures juridiques communes des deux côtés de l’Atlantique permet de mettre en perspective le phénomène colonial et de comparer pays de common law et de tradition romano-civiliste.

Le colloque vise à poser les jalons d’une histoire longue du temps judiciaire. Les communications pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants, sans exclusive. Une attention particulière sera donnée aux propositions qui placent au cœur de la réflexion les acteurs et actrices, les pratiques et leur inscription dans l’espace.

1. Les temps de la justice, discours et mesures

Le premier axe a pour objectif de croiser les différentes manières dont la société a cherché à évaluer et mesurer le temps judiciaire. Quels sont les effets produits par ces discours sur les représentations sociales, les réformes politiques, et les pratiques institutionnelles ? Comment l’institution mesure-t-elle la temporalité de sa propre action ? Quels sont les objectifs des statistiques judiciaires ? Cette production est-elle révélatrice de la consécration du temps comme étalon d’une bonne justice ?

Un tel questionnement invite aussi les chercheuses et chercheurs à confronter ces mesures à leurs propres analyses. Les enquêtes sur la durée des procès [Dickinson, 1982; Priest, 1999] restent peu nombreuses en comparaison des données collectées sur le volume de l’activité judiciaire. Réfléchir aux temps de la justice nécessite en contrepoint la construction de données empiriques, issues des archives judiciaires, mais aussi une réflexion méthodologique sur la manière d’appréhender ces temporalités. Comment compter les temps des procédures ? Quels outils pour appréhender la multiplicité des temporalités (celle des justiciables, de la procédure, de l’institution) ? Nous proposons une réflexion générale associant analyses statistiques et discursives sur la mesure du temps judiciaire.
 

2. Diversité des temps judiciaires et usage de la procédure

Comprendre le temps judiciaire suppose de rentrer dans les mécanismes procéduraux. Si la juridiction civile ou pénale, la nature des litiges et le type d’acteurs impliqués déterminent la forme de la procédure et, de ce fait, les délais qui lui sont liés, les justiciables, les professionnels du droit et auxiliaires de justice disposent toutefois de marges de manœuvre pour moduler le temps en fonction de leurs intérêts. Cet axe vise à porter une attention particulière au rôle joué par le temps dans les pratiques adoptées par les différents acteurs. En ce qui concerne l’institution judiciaire, une telle approche permet de réfléchir à la manière dont le temps est adapté en fonction de la qualité des justiciables (corps, classe, genre, race). Pour ce qui est des justiciables, il s’agit de se pencher sur les stratégies mises en œuvre selon une double dimension : soit au sein d'une procédure donnée – en allongeant ou raccourcissant le temps –, soit en tirant avantage de l’organisation judiciaire en cherchant à adapter leur demande en justice afin de pouvoir bénéficier d’une procédure (plus rapide ou plus lente) au détriment d'une autre.

Cette réflexion transversale sur le temps, les mécanismes procéduraux et les pratiques judiciaires amène à s’interroger sur d’autres dimensions de la justice étroitement liées aux délais, dont l’oralité et l’écriture, ou encore au coût de la justice. Elle permet de se pencher sur les limites des stratégies et sur le poids du temps judiciaire dans la réticence à faire appel à la justice, lui préférant des démarches extérieures à l’institution judiciaire.
 

3. Décision, sanction, exécution des jugements

À l’issue du procès, le sort des affaires se décide : un certain laps de temps sépare les débats de l’énoncé du verdict. Ce laps de temps varie suivant les époques et les types de juridiction, qu’elles soient civiles, pénales ou militaires. Si le délibéré en matière civile s’étale fréquemment aujourd’hui sur plusieurs mois, la réponse pénale est censée être rapide, afin de maintenir l’exemplarité de la peine. Cet axe invite à mesurer comment la rapidité ou la lenteur de la décision est corrélée à sa qualité et à son efficacité.

La décision comprend souvent des dispositions temporelles, que ce soit en matière commerciale, familiale ou encore pénale. En particulier à l’époque contemporaine, la question de la durée de la peine s’est imposée comme le principal instrument de réponse aux infractions, au niveau des codes comme dans les verdicts effectivement rendus. Il faudrait ainsi explorer dans quelle mesure le temps est au cœur de l’expérience pénale. L’exécution des décisions de justice connaît parfois des aménagements et des ajustements, permis par la plus ou moins grande souplesse offerte par les textes et les dispositifs. Elle est aussi dépendante d’impératifs d’autres institutions, comme la gestion de la population carcérale.
 

4. Réformes et crises de la justice : le temps judiciaire, entre ordinaire et extraordinaire

Le dernier axe vise à interroger la dimension politique des temporalités judiciaires. Réduire la durée des procédures est une justification courante des réformes entreprises par les Etats. Dans quelle mesure la codification du droit et l’unification des procédures permettent-elles de réduire les lenteurs du système judiciaire ? De même, en plus d’affecter la proximité entre l’institution et les justiciables [Houllemare, Roussel, 2015], comment la modulation du maillage judiciaire permet-elle de réguler le temps des procédures et des appels ? L’articulation entre espace et temps apparaît ici cruciale, car l’engorgement des tribunaux peut engendrer de longs délais de traitement des affaires.

Enfin, on pourra interroger les temporalités judiciaires au prisme des crises, qu’elles soient propres ou non à l’institution. Comment la justice adapte-t-elle son fonctionnement face à l’urgence ou des situations extraordinaires ? En retour, peut-on voir dans l’inaptitude de la justice à s’adapter aux temporalités sociales ordinaires le symptôme d’une crise de la justice ? Ou, au contraire, la discordance des temps sociaux et judiciaires est-elle une contradiction inhérente à l’exercice de la justice ?
 

Calendrier et modalités de soumission

Les langues de communication sont le français et l’anglais. Les propositions de communication, d’une longueur maximale de 500 mots et accompagnées d’une courte biographie indiquant le rattachement institutionnel, sont à envoyer à l’adresse suivante : temps.justice.2023@gmail.com jusqu’au 28 février 2023.

Elles pourront être rédigées en français ou en anglais. Une réponse sera adressée au début du mois de mai 2023. Il ne sera pas demandé d’envoyer les communications à l’avance.
 

Comité d’organisation

Alice Bonzom, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’Université Lumière Lyon 2, Triangle UMR 5206
Simon Castanié, doctorant, ATER en histoire moderne à Sorbonne Université, Centre Roland Mousnier UMR 5896
Nicolas Picard, docteur en histoire, chercheur associé au Centre d’histoire du XIXe siècle UR 3550
Benoît Saint-Cast, docteur en histoire, chercheur associé au LARHRA UMR 5190
Verónica Vallejo Flores, docteure en histoire, chercheuse associée au laboratoire Mondes Américains UMR 8168


Comité scientifique

Pascal Bastien, Université du Québec à Montréal
Simona Cerutti, EHESS, Centre de Recherche Historique
Frédéric Chauvaud, Université de Poitiers, Criham EA 4270
Neil Davie, Université Lumière Lyon 2, LARHRA UMR 5190
Anne-Emmanuelle Demartini, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’histoire du XIXe siècle UR 3550
Mirian Galante, Universidad Autónoma de Madrid
Laurence Guignard, Université de Lorraine, CRULH EA 3945
Marie Houllemare, Université de Genève
Arnaud-Dominique Houte, Sorbonne Université, Centre d’histoire du XIXe siècle UR 3550
Claire Lemercier, CNRS, CSO UMR 7116
Xavier Rousseaux, Université catholique de Louvain
Evelyne Sanchez, CNRS, Institut d’histoire du temps présent UMR 8244
Emmanuel Taïeb, IEP de Lyon, Triangle UMR 5206
Rachel Vanneuville, CNRS, Triangle UMR 5206 

 

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