Ouvrages parus | 2021 - 2024

Combinar para convivir

Combinar para convivir

Etnografía de un pueblo nahua de la Huasteca veracruzana en tiempos de modernización

Anath Ariel de Vidas
Mexico,  Editeurs CEMCA | CIESAS | COLSAN,  [2021], 500 p.

Résumé

Dans le village nahua de La Esperanza, dans la région de la Huastèque veracruzaine au nord-est du Mexique, une société rurale pleinement intégrée aux processus de modernisation continue de maintenir des particularités culturelles qui la distinguent des "gens de la ville". Quels sont les mécanismes qui permettent à cette communauté d'assurer la cohésion sociale et la transmission culturelle en période de changement structurels ? Ce livre explore les articulations entre l'action civique collective et les actes rituels locaux - catholiques ou adressés aux entités de la terre - afin de saisir la construction quotidienne, sociale et identitaire, de ce groupe dans son contexte historique plus large.

Cette étude anthropologique aborde les rituels, non pas comme des pratiques conservatrices, mais comme le principal mécanisme de production du social, de la continuité culturelle et de l'autorité politique. Au-delà des oppositions entre "tradition" et "modernité", entre "continuité" et "acculturation", elle se concentre sur l'éthique de la coexistence entre les humains, et entre eux et les autres entités qui peuplent leur environnement.
 

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Synopsis

Ce livre pose la question de la coexistence de différentes façons de penser le monde. Comment peut-on adhérer simultanément à plusieurs conceptions du monde qui impliquent des rapports spécifiques et distincts à autrui et à l’environnement ? L’enquête ethnographique a été menée dans le village nahua de La Esperanza, dans la région de la Huastèque au nord-est du Mexique. Elle suit une société rurale pleinement intégrée dans le processus de modernisation et qui maintient, en même temps, des particularités culturelles collectives. Celles-ci sont liées à la terre, et distinguent ce groupe, selon les commentaires locaux, des « gens de la ville ». Quels sont les mécanismes qui permettent à cette communauté de parvenir à la cohésion sociale et à la transmission culturelle en période de changements structurels profonds qui conduisent à la migration et à la vie à cheval sur plusieurs lieux et milieux socio-culturels ? Comment les membres de ce collectif combinent-ils différents modes de faire et de penser ?

Cette recherche anthropologique, fondée sur une ethnographie liée à des questions théoriques contemporaines, suit l’attachement des villageois à une action civique collective, étroitement liée à des actes rituels, qu’ils soient catholiques ou adressés aux entités de la terre. Cette approche permet de comprendre comment se construit la manière d’être de ce groupe dans la vie quotidienne, dans son contexte historique et social plus large.

L’analyse aborde les rituels non pas comme des pratiques conservatrices mais comme le principal mécanisme de production de l’autorité sociale, de la continuité culturelle et de l’autorité politique. Ainsi, les oppositions entre « tradition » et « modernité » et entre« continuité » et « acculturation » sont dépassées, afin de se concentrer sur l’éthique de la coexistence entre les humains, indiens ou non, et entre ceux-ci et les habitants particuliers qui peuplent l’environnement des villageois. Ce livre concerne ainsi l’éthique singulière que forge une communauté paysanne indienne au Mexique vivant un processus de modernisation accéléré. La recherche ethnographique sur les façons dont les membres de la population étudiée incluent dans leur sphère sociale des entités non humaines faisant partie de leur environnement permet de sonder le mécanisme d’incorporation de l’altérité –humaine ou non, autochtone ou non–dans un seul univers.

« Combiner » est un terme employé par les habitants du village nahua de La Esperanza pour expliquer ce mécanisme local d’incorporation d’éléments d’origines hétérogènes. Àpartir de ce terme emic et de descriptions ethnographiques « épaisses » de la vie sociale et cultuelle et notamment des offrandes aux entités de la terre, l’ouvrage développe le concept de« combinarisme », l’action ou l’art de mettre en relation explicite, dans un seul espace intégratif, des univers conçus localement comme ontologiquement distincts et distingués sur le plan temporel, afin d’activer la convivialité. Il ne s’agit pas d’affirmer que les protagonistes étudiés vivent dans deux mondes, chrétien et païen, indien et métis, qu’ils tenteraient de réunir en un seul à travers leur ritualité mais plutôt que le processus colonial duquel ils sont les héritiers a créé dans leur univers des éléments contradictoires qu’ils organisent dans leurs rites de manière dualiste (mais non binaire-exclusive) et complémentaire. Ce mécanisme se trouve au cœur de leurs relations sociales, internes et externes, et procède, d’une manière active et constamment actualisée propre aux acteurs sociaux, à l’organisation de leur monde en combinant ses éléments distincts tout en les distinguant.

Le combinarisme se fonde ainsi sur la coexistence activée d’éléments distingués. Contrairement aux termes de syncrétisme, métissage ou d’hybridité qui sont souvent employés dans ces contextes et qui procèdent plutôt d’une constatation, ce terme emic, employé par les propres acteurs sociaux, implique une agentivité consciente des protagonistes impliqués dans l’interaction cultuelle et sociale. Il exprime leur façon particulière de gérer les discontinuités en traçant entre elles des formes de communicabilité. Cette gestion locale s’inscrit dans le changement historique et traduit un mode autochtone d’en accepter l’empreinte, voire de la revendiquer : « les traditions changent », disent-ils.

L’ouvrage montre comment la vie rituelle et l’organisation civique et politique locale sont étroitement liées et comment elles régissent ensemble une façon spécifique de saisir le monde. Elles sont analysées dans ce livre comme des éléments vitaux dans les processus qui ancrent les identifications collectives locales au sein d’un environnement social et politique pluriel et changeant. Le rite expose les différents niveaux de structuration sociale en répliques de plus en plus amples. Ce mécanisme permet l’incorporation des habitants et de la communauté, en tant que corps social, face à des entités naturelles et sociales, internes et externes dont dépendent leur subsistance et leur perpétuation sociale et politique. En saisissant ce mécanisme, cet ouvrage révèle les nouvelles formes de transmission des connaissances, jusqu’alors orales, adaptées par les membres de la communauté aux conjonctures actuelles de la migration et de la patrimonialisation.

La plupart des études sur la ritualité autochtone abordent ce thème comme une manifestation de traits culturels provenant d’époques archaïques et comme un mode de résistance culturelle opposant la tradition à la modernité. Ce livre cherche à dépasser cette dichotomie excluante. Le mécanisme du « combinarisme », analysé ici en milieu autochtone, est sans doute partagé avec nombre de sociétés immergées dans leur société nationale et globale. L’ouvrage montre que la ritualité observée de nos jours dans certaines communautés fait partie de procédés de création permanente qui sont étroitement liés à des processus contemporains. Le livre analyse les ajustements historiques qui caractérisent la ritualité autochtone, en l’appréhendant non pas comme une pratique conservatrice mais comme le reflet d’une éthique singulière en rapport avec d’autres types d’éthique avec lesquelles elle est en dialogue permanent. L’ouvrage propose ainsi une nouvelle approche de la question complexe de l’existence contemporaine de formes de vie distinctes et à la fois synchrones avec le mode de vie et l’éthique qui prévalent dans la société dominante, organisée sur la base du rationalisme scientifique.

Les huit chapitres qui composent ce livre, rédigé en espagnol, font ressortir progressivement le principe de l’éthique singulière qui régit la vie sociale au village de La Esperanza. Le premier, “Mientras hay vida, hay Esperanza” [‘Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir’], introduit ce que les documents d’archives enseignent sur l’histoire de ce village et ses systèmes agraires et politiques locaux, dépendant de structures administratives extra-communautaires. Y sont décrits également la vie économique locale, les effets de la migration sur l’équilibre démographique et l’organisation civique-politique qui est au fondement de la configuration socio-religieuse qui sera analysée dans les chapitres suivants.

Le second chapitre, “El milagro en el cerro” [‘Le miracle de la montagne’], restitue un récit fondateur de la vie du village, un évènement qui s’est déroulé au milieu du XXesiècle et à partir duquel se sont forgées les pratiques rituelles qui occupent une place centrale dans la vie religieuse et collective locale. L’analyse de cet évènement, contextualisé en relation à un moment historique particulier, permet de saisir les interrelations étroites qui existent entre les représentations symboliques et les conjonctures environnementales, politiques et sociales.

Le troisième chapitre, “Las tres capas” [‘Les trois couches’], suit les pratiques rituelles des guérisseurs qui tirent leurs origines dans les relations étroites que ceux-ci établissent avec la montagne de La Esperanza. C’est à partir de ces pratiques personnelles de ces ‘fonctionnaires rituels’ que se forgent les autres rites réalisés au village, dans un mécanisme de dédoublement spatial et social, intégrant ainsi différents milieux sociaux, internes et externes au village, humains et non humains.

Le quatrième chapitre, “Cerrar el compromiso” [‘Conclure le pacte’], détaille comment le rituel de la montagne se réplique en déclinant son principe à travers l’ensemble des rituels individuels et familiaux qui assurent les moyens de subsistance, les vœux prospectifs et rétroactifs et les rites de guérison. Dans ces rituels, on convoque toujours des parents, biologiques et spirituels, qui participent activement à leur réalisation car il s’agit d’activer simultanément le ‘travail-force’ des humains et des non-humains sollicités.

Le cinquième chapitre, “En la tierra como en el cielo” [‘Dans la terre comme au ciel’], analyse comment la gestion liturgique catholique des moments cruciaux de changement de statut social au long de la vie –soit les rites de passage de naissance, mariage et décès– se superpose à ce socle commun des rites.

Le sixième chapitre, “El patrón de la fiesta patronal” [‘Le patron de la fête patronale’], montre comment le même principe qui se trouve à l’arrière-plan de tous les rites individuels et familiaux s’amplifie encore, sur le plan collectif, à travers la fête patronale. Cette fête rassemble l’ensemble des rites individuels et familiaux réalisés tout le long de l’année au village, dans une fusion du politique et du religieux qui forge la communauté.

Pour conclure la démonstration ethnographique et analytique des rituels, le sixième chapitre, “Lo más importante son las flores” [‘Le plus important ce sont les fleurs’] examine le rôle des fleurs présentes dans tous les rituels religieux et civiques, pour éclairer comment, par leur forte charge symbolique, elles forment un « principe fleur », intrinsèquement associé au concept nahua de force et de travail qui permet finalement l’activation rituelle et à travers elle, instaure cette unité communautaire particulière, si valorisée par les habitants du village.

Le huitième chapitre, “La tierra nos une y la costumbre nos reúne” [‘La terre nous unit et la coutume nous réunit’], analyse finalement le statut des coutumes nommées localement “el costumbre” –concept né à l’époque coloniale– et les processus de transition-translation qui les transforment en ‘traditions’ au gré des politiques de reconnaissance institutionnelles et ecclésiastiques mais aussi, de par les changements historiques qui modifient pour les habitants leur relation intrinsèque avec la terre, fondement initial des pratiques culturelles analysées.

Il s’agit de la première étude ethnographique majeure sur un groupe nahua de la région de la basse Huastèque au nord-est du Mexique dont les populations autochtones sont souvent considérées comme « acculturées ». Ce travail se fonde sur des données ethnographiques de première main, résultat d’enquêtes de terrain effectuées sur une période de dix ans. Ce livre intéressera les anthropologues, les sociologues et les politistes tout comme un public plus large intéressé par les visions du monde autochtones et les approches de l’altérité sociale développées en marge de la société nationale dominante.

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